Je m’intéresse aux oiseaux et à leur représentation depuis Decbel.
A l’école d’ingénieurs, il y avait un amoureux des oiseaux. Il partait les observer avec un anorak rouge. Les oiseaux ne voient pas les couleurs, disait-il. Il s’appelait Jacques P. Est-ce toujours vrai que les oiseaux voient le monde en noir et blanc ? En sait-on plus cinquante ans après ?
En quête des éventuelles inspirations de Decbel, je découvre un superbe bouquin : Oiseaux du monde, dessins naturalistes XVIIème-XIXème siècles 1. Les collections d’aquarelles du Museum d’Histoire Naturelle, en particulier celle des vélins initiée par Nicolas Robert en 1630 puis pérennisée par Louis XIV en 1666.
Il s’agissait de représenter, répertorier, inventorier le monde vivant. Comprendre était déjà un tic de l’homme blanc 2.
Un film d’Hitchcock, bien sûr, les photographies d’Éric Poitevin3, mais ils parlent de bien d’autre chose que d’ornithologie.

Dans Habiter en oiseau4, Vinciane Despret souligne à deux reprises cette ambiguïté de l’intérêt porté aux oiseaux et de leur représentation : N’oublions pas que beaucoup d’ornithologues et d’amateurs jusqu’à cette date (début du 20ème siècle) étudiaient les oiseaux principalement en les tuant ou en prélevant leurs œufs pour constituer des collections ou élaborer des catégories.
Quelques pages plus loin, se référant à Jean Rolin5, elle redit l’évidence de l’équation au 19ème siècle: amour des oiseaux = appropriation.

Donc voilà : représentation des oiseaux équivalait à enfermement, privation de liberté, mort.

Et puis Decbel. Ses oiseaux sont prisonniers dans leur belle cage de verre, certes, et il leur manque le chant. Et pourtant, ils me semblent les outils d’une quête ou reconquête de liberté. L’œil est souvent pétillant, le sourire radieux.
Il y a dans son mode de représentation un souci de véracité, une non-envie de faire art qui l’absolvent de l’appropriation. Le relief et la transparence donnent aux oiseaux une présence émouvante, un peu comme nos réunions de famille sur zoom nous donnent une illusion de chaleur humaine.

1. Oiseaux du monde, dessins naturalistes XVIIème-XIXème siècles (Actes Sud-Motta. 2001)
2. Le Cherokee. Richard Morgiève (Joëlle Losfeld. 2019)

3. Le puits des oiseaux. Jean Christophe Bailly & Éric Poitevin. Seuil. 2016
4. Habiter en oiseau. Vinciane Despret (Actes Sud. 2019)
5. Le traquet kurde. Jean Rolin (POL. 2018)


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