Du matin au soir, je contemplais donc ce bout de rue tranquille, ensoleillé entre ses blanches maisonnettes de province, et s’en allant finir là-bas aux vieux arbres du rempart ; les rares passants, bientôt tous connus de visage ; les différents chats du quartier, rôdant aux portes ou sur les toits ; les martinets tourbillonnant dans l’air chaud, et les hirondelles rasant la poussière du pavé….

Ces mots de Pierre Loti 1 pourraient être ceux d’un enfant des années 1960, dans la vieille maison du 102 rue Thiers. Ça n’avait pas beaucoup changé depuis l’enfance de Loti et ça ne changera pas beaucoup jusqu’au tournage des Demoiselles de Rochefort, en 1966.

Pierre Scoarnec avait vécu là, de 1886 à sa mort en 1944. Il avait rencontré Loti en 1883 sur l’Atalante pendant la campagne du Tonkin puis avait abandonné sa Bretagne pour le rejoindre à Rochefort et être le gardien de sa maison. Il habitait juste derrière, une petite maison de ville. Les deux maisons communiquaient par une porte au fond du jardin. Sa fille Hélène y était revenue à la mort de son mari.

Portrait de Pierre Scoarnec. Pierre Loti. Ca 1883. Collection particulière.

Hirondelle. Decbel. Ca 1960. Fixé sous verre multicouche.

L’été à Rochefort c’était la lumière d’un ciel bleu vif, sans un nuage, l’air brûlant et transparent, les volets de bois à l’espagnolette sur la rue Thiers. Et là-haut, les martinets traversaient ce bleu, solitaires, en groupe, en ligne.
Leur cri, le soir surtout. Souvenir d’ennui et de tendresse.

C’est peut-être dans ces vieilles maisons de province qu’on apprivoise l’ennui, qu’on apprend à résister à l’envie de remplir le vide. L’ennui y est synonyme de calme et de sécurité. Sous le regard d’une dame au beau visage, la fille de Pierre Scoarnec. Elle avait connu Pierre Loti. C’était une femme forte, bien aimante et bien aimée.

Des martinets qui piaillaient le soir, elle disait qu’ils ne pouvaient pas se poser, que leurs grandes ailes les en empêchaient. Ils devaient voler tout le temps. Nous voir toujours de haut.
Sortes d’albatros lotiens ?

1 Roman d’un enfant. Pierre Loti. 1890


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