Je contemple ces remugles, portés ici par l’océan.
Je perçois l’écho de nos luttes. Depuis les rues de Paris, elles saignent encore dans les mémoires.
Nous, femmes de la Commune, depuis l’assignation en cette île lointaine, voici le chant de nos visions porté par le colibri : le monde ancien s’échoue en vrac, marée après marée,  sur les plages sombres que  d’aucuns osent encore appeler des paradis !
Ici, le peuple Kanak, le peuple Kabyle – deux K pour un même combat- maintiennent la flamme de nos insurrections.
Les révoltes grondent jusqu’en ce bagne !

Depuis des années, portées par les chants du Bulbul, du Cardinal, du Cagou, nous  tenons langue avec cette nation, ses enfants, pour soutenir leur combat et le nôtre.

Banquiers, maîtres de forges, administrateurs, officiers et soudards, prêtres et prédicateurs, autoproclamés barons du progrès, spéculateurs de misères, massacrent ici, comme en Afrique, en Amérique, en Cochinchine les peuples légitimes au nom d’une loi inique de conquêtes, parée des oripeaux du Droit et de la Liberté assassinée sur les pavés de Ménilmontant.

Des nervis coloniaux, garde-chiourmes, immondes mercenaires, pourfendeurs de rires et de chants ancestraux…
Ces terres ? Ils les éventrent et les dévorent.

Souimanga. Decbel. Ca 1960. Fixé sous verre 3D. 18 cm x 36 cm

Mais, ici aussi nous avons travaillé contre ces sbires.
Nous les damnées, jamais résignées…

Rien de commun avec cet autre exilé, Le Bonaparte, coiffe et redingote rougies du sang de nos frères d’Europe. Lui  a déjà payé de sa misère solitaire le prix de ses meurtres, reclus sur une autre île.
Mais il nous a légué son addition : un avorton, un neveu, le Badinguet !
Badinguet, le même opérateur de la misère.
La gloire… leur gloire au prix de nos douleurs.
Les monstres enfantent des monstres, le Thiers en est aussi l’exemple !

J’ai enseigné, ici, avec mes frères et sœurs de combat : lire c’est penser, c’est lutter, voyelle après voyelle, consonne après consonne,  pour le monde éclairé, celui de Voltaire, de Victor Hugo, celui de mes chers oiseaux.
Un enfant, Hikmer Dekhbel, fils de Kabyle et de Kanak m’a confié le souvenir de leurs chants, posé là – Souimanga  de ses rêves aux scintillements nacrés – en ce dessin, sur le verre de ma mémoire océane.

Il chantera les combats à venir et le bonheur… Comment oublier ?

Nouméa. Mai 1879
Par autorisation posthume, Alain Leylavergne

Alain Leylavergne, poète et historien entre nombreux autres destins, vit à Lyon. 


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