On ne sait pas qui signait DECBEL ces tableaux, toujours se servant de majuscules, un peu maladroites, parfois avec, parfois sans point après le L.

On ne sait pas s’il y a un lien entre Decbel et décibel.

Peut-être s’agit-il d’un raccourci du mot décor ou décoration, et belle, ou bel. Il se peut que Decbel soit une marque.

J’ai un ami qui s’appelle Declan, il est Irlandais.  On ne sait pas si c’est cela, le prénom de Decbel, ni s’il s’agit de quelqu’un de nationalité française.

Quatre albums en relief à colorier et à découper signés DECBEL ont été publiés aux éditions BIAS en 1951.

Le fondateur des éditions BIAS, Robert Löwensohn, est mort en 1945 lors des marches forcées, quand les camps de concentration furent évacués devant l’avance de l’armée russe. Sa femme est vraisemblablement morte gazée. Leur fils a travaillé aux éditions BIAS jusqu’en fin 1950. Mais de Decbel pas de trace.

On ne sait pas s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. On ne sait pas si elle ou il vit toujours. Je ne sais pas si je veux vraiment élucider l’énigme Decbel. Entretenir le mystère laisserait ouvertes tellement de portes.

Par contre, si on trouvait sa vraie identité, peut-être qu’on comprendrait mieux certains éléments. Peut-être qu’on saurait pourquoi il y a parfois un point après le L de la signature DECBEL. Peut-être qu’on saurait pourquoi cette personne s’est servie de majuscules.

Voulait-elle se cacher ? Sinon, pourquoi ne pas révéler son identité ? Il pourrait là s’agir d’une lubie. Mais si on veut se cacher, pourquoi se servir d’une police qui parle fort ? Les majuscules ne chuchotent pas.

Là encore me vient le mot décibel. Je pense qu’il s’agit de quelqu’un qui voulait bien se révéler, se faire entendre, mais qui a un moment donné a préféré, ou bien a été obligé/e de se cacher.

Pourquoi les majuscules ont-elles été peintes de façon un peu maladroite, alors qu’on ne dirait pas la même chose des images ? S’agit-il d’une question intime, ou est-ce simplement dû aux exigences de la technique de la peinture sous verre ?

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Ces fleurs, ces oiseaux, ces bateaux vivraient mieux libérés de leur cadre. Pour l’instant ils sont plutôt aplatis derrière leurs couches de verre ce qui donne à l’image un effet de confinement. Surtout aux oiseaux et aux bateaux, prêts pourtant à prendre le large. Ce qui me fait croire que Decbel rêvait, comme quelqu’un qui dessine avec un doigt sur une vitre embuée.

S’agit-il d’une femme d’intérieur, de quelqu’un accablé par la pudeur, qui a connu les camps, la prison, l’hôpital, qui a vécu cachée pendant la guerre ?

Les majuscules irrégulières semblent prêtes à s’étendre, à aller se promener ailleurs.

Et qui mettrait un point à la fin de son nom, même un nom d’artiste ? Même un nom de marque ? Un point c’est ambigu. Ça peut indiquer la fin d’un énoncé ou, au contraire, une abréviation, une interruption, comme s’il y avait bien plus à dire, mais qui ne s’exprimait pas. Plus à dire à propos de ce nom Decbel.

Peut-être s’agit-il d’un point barre, une sorte de petit ballon de foot au pied du L final qu’on voudrait buter hors champ, pour contredire la tranquillité des sujets peints. Peut-être que Decbel peignant, rongeait secrètement son frein .

Denis Hirson

Denis Hirson a vécu jusqu’à 22 ans en Afrique du Sud avant de s’installer en France en 1975. La plupart de ses livres parlent de la mémoire des années d’apartheid. En français, La maison hors les murs (1988), Jardiner dans le noir (2007). En 2017 : Ma langue au chat, – Tortures et délices d’un anglophone à Paris – premier livre écrit directement en français et Footnotes for the Panther, dix conversations avec William Kentridge.


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